Par un arrêt rendu le 5 mars 2009, la CJCE en apporte une preuve complémentaire en considérant que les dispositions relatives aux restrictions à la libre prestation des services (articles 49 et 50 du Traité de l'Union) ne sont pas incompatibles avec les activités sociales exercées ou fournies par les régimes légaux de sécurité sociale.
Deux aspects principaux sont examinés par cet arrêt :
- solidarité et financement (I)
- intérêt général et équilibre financier (II)
I - SOLIDARITÉ ET FINANCEMENT
Certes, les États membres peuvent maintenir et conserver un monopole, si celui-ci existe.
Certes, ce monopole semble pouvoir être organisé, sui generis, en considérant, par exemple, que
« les URSSAF, instituées par l'article L. 213-1du Code de la sécurité sociale, tiennent de ce texte de nature législative, leur capacité juridique et leur qualité pour agir dans l'exécution des missions qui leur ont été confiées par la loi »
Certes, enfin, l'organisation de la sécurité sociale semble être exclue du champ d'application des règles communautaires sur la concurrence, motif pris de l’application du principe de la solidarité nationale
(Arrêt CJCE, Poucet et Pistre 17 février 1993).
Cependant, concernant plus spécialement le financement de la sécurité sociale, l'article 111-3 du Code de la sécurité sociale prévoit que, chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale :
« approuve les orientations de politique de santé de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale… »
En d'autres termes, les régimes obligatoires de sécurité sociale remplissent une fonction et une finalité sociales :
- constituées par les orientations de politique de santé prévues chaque année par la loi de financement,
- fondées sur le principe de solidarité,
Ces régimes n'exercent, en effet, aucune activité commerciale
(voir arrêt B. / URSSAF de Paris,CA Versailles 12 septembre 2006).
Toutefois, cette fonction sociale est-elle, en soit, suffisante pour exclure que l'activité concernée soit qualifiée d'activité économique et échappant ainsi à l'application des traités de l'Union et plus spécialement des dispositions des articles 49 CEE et 50 CEE ?
(Traité de l'Union du 25 mars 1957 concernant les dispositions relatives aux restrictions à la libre prestation des services)
C'est la question posée, et réglée, par l'arrêt du 5 mars 2009, rendu par la CJCE.
Il confortait un précédent arrêt (CJCE, 26 janvier 1999, Terhoeve) selon lequel le fait qu'une réglementation nationale retienne le financement de tout ou partie des branches de la sécurité sociale , (en prévoyant l'affiliation obligatoire), n'apparaît pas de nature à exclure l'application des règles du Traité, et, notamment celles relatives à la libre prestation de services
L’arrêt en date du 5 mars 2009 (arrêt CJCE Kattner, C 350/07) apporte sur ces différents points des précisions intéressantes.
Le financement de la sécurité sociale, pris plus spécialement au travers du régime d'affiliation obligatoire prévu par la réglementation nationale, doit être compatible avec les dispositions des articles 49 et 50 du Traité (voir point 76). Il s'agit d'un principe dont les contours étaient, jusqu'à ce jour, mal définis, mais aujourd'hui clairement déterminés.
La Cour, dans cet arrêt du 5 mars 2009, examine l'hypothèse selon laquelle un régime légal d'assurance pourrait constituer une restriction à la libre prestation des services par les compagnies d’assurance établies dans d'autres États membres qui souhaiteraient proposer des contrats d'assurance couvrant les mêmes risques et n’opérant pas selon le principe de solidarité.
La CJCE indique qu’une telle restriction peut être justifiée dès lors qu'elle répond à des raisons impérieuses d'intérêt général.
Encore faut-il s'entendre sur la notion d' « intérêt général » !
II - INTÉRÊT GÉNÉRAL ET ÉQUILIBRE FINANCIER
En d'autres termes, l'obligation d'affiliation à un régime légal d'assurance ou l'obligation de participer au financement en raison du principe de solidarité, vise à assurer l'équilibre financier, cet équilibre financier étant une obligation propre à garantir la finalité sociale constituée par l'intérêt général.
Des restrictions à l'obligation d'équilibre financier peuvent cependant être envisagées
La Cour Européenne apporte, en effet, une précision importante concernant la notion d'intérêt général, justificative d'une telle restriction (voir point 84) :
- cette restriction doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi ;
- cette même restriction ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le dit objectif.
La CJCE considère donc que, même un risque d'atteinte grave à l'équilibre financier du système de sécurité sociale peut constituer, en lui-même, une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier une entrave au principe de la libre prestation des services.
Une règle, assortie d'une exception, apparaît ainsi se dégager:
- une règle: l'équilibre financier
- une exception, soumise à contrôle : le déséquilibre financier
Dans son arrêt du 5 mars 2009, la Cour européenne confirme cette indication en précisant dans l'espèce examinée :
« or, ainsi qu'il ressort des observations soumises à la Cour,
une obligation d'affiliation à un régime légal d'assurance telle que celle prévue dans la réglementation nationale en cause au principal vise à assurer l'équilibre financier de l'une des branches traditionnelles de la sécurité sociale, en l'occurrence, l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles »
En France, le financement (au travers de l'obligation d'affiliation) d’un régime légal d'assurance sociale qui trouve sa justification dans la garantie à l'accès effectif des assurés aux soins sur l'ensemble du territoire (article L.111-2-1 du code de la sécurité sociale), a, pour corollaire, la loi, qui, chaque année, pour parvenir à cet objectif « détermine les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale… »
En d'autres termes, les conditions de financement doivent permettre de justifier et d'assurer l'équilibre financier du régime de sécurité sociale.
La Cour en conclut que le principe fondamental de libre prestation des services
défini aux articles 49 et 50 du Traité de l'Union doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation sous une réserve selon laquelle ce régime ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif consistant à assurer l'équilibre financier.
En d'autres termes, l'équilibre financier peut ne pas être atteint.
Il revient donc à la juridiction saisie de vérifier que ce qui est nécessaire pour ne pas atteindre cet équilibre est, ou non, justifié par l'intérêt général.
Or, la loi française fait expressément état, concernant la sécurité sociale, d'un équilibre financier déterminé et approuvé chaque année, étant observé que « l'équilibre financier de la sécurité sociale revêt le caractère d'une exigence de valeur constitutionnelle »
On ne peut cependant que constater que l’équilibre financier est gravement et régulièrement remis en cause depuis de nombreuses années :
- année 2004 : déficit 11,9 € milliards d’euros
- année 2005 : déficit 11,6 milliards d'euros
- année 2006 : déficit 8,7 milliards d'euros
- année 2007 : déficit 9,5 milliards d'euros
- année 2008 : déficit 10,2 milliards d'euros
- année 2009 : déficit 21 milliards d’euros
- année 2010 : déficit prévisionnel de 30 milliards d’euros.
Ainsi, sur les deux dernières années - 2009, 2010 - le déficit cumulé va se trouver supérieur au déficit cumulé des cinq années antérieures - 2004 à 2008- (50 milliards d'euros).
(source Wikipedia : déficits de la sécurité sociale en France)
Ces observations permettent d’établir que si l’équilibre financier des régimes de sécurité sociale français n’est pas atteint – ce qui apparaît amplement démontré – (mais il peut effectivement ne pas être atteint) - il ne saurait être admis que l'accroissement constant du déséquilibre serait justifié par l'intérêt général, dès lors que cet intérêt général a pour objectif d'assurer précisément l'équilibre financier !
(point 8 - arrêt CJCE du 5 mars 2009).
On est donc amené à considérer que les conditions de financement du régime obligatoire - dont plus spécialement l'obligation d'affiliation - ne permettent plus
- en raison même de l'accroissement, quasi exponentiel du déséquilibre financier du régime de sécurité sociale,
- en dépit des apports importants constitués par des prélèvements qualifiés, alors, d'exceptionnels (CSG, puis CRDS)
- en dépit des prêts de la CADES,
de justifier et d'assurer l'équilibre financier du régime de sécurité sociale, étant rappelé au surplus que :
« l'équilibre financier de la sécurité sociale revêt le caractère d'une exigence de valeur constitutionnelle »
La contestation de l'obligation d'affiliation, et de l’obligation, en découlant, du paiement des cotisations au régime de sécurité sociale, peut ainsi ne pas apparaître comme injustifiée et dés lors, ouvrir la voie à la mise en place de contrats d'assurance couvrant les mêmes risques et n’opérant pas selon le principe de solidarité, auprès de compagnies établies dans d'autres États membres de l’Union.
(Le 1er Octobre 2010)